Culture
De la clandestinité à la division : Mohamed Kilani retrace l’histoire méconnue de la gauche tunisienne
Dans le paysage politique tunisien, certains témoignages ont la valeur de l’histoire vivante. Le deuxième volet de notre entretien avec Mohamed Kilani, figure incontournable de la gauche radicale tunisienne, en fait partie. Ce dialogue offre un récit poignant et sans concession des espoirs, des conflits et des échecs qui ont marqué le parcours de la gauche, de l’ère Ben Ali à la période contemporaine. À travers le regard de l’un de ses principaux acteurs, c’est une plongée dans les coulisses souvent méconnues des luttes de pouvoir et des choix stratégiques qui ont façonné le présent politique de la Tunisie.
Les fondations et les fractures : du journal au parti
L’émergence du Parti Communiste des ouvriers Tunisiens (PCOT) est indissociable de l’expérience du journal « Âfâq al-‘âmil al-Tûnisi » (Horizons de l’ouvrier tunisien). Mohamed Kilani retrace cette transition cruciale, évoquant les difficultés et les défis de donner naissance à une formation politique dans un environnement hostile. Cette période fondatrice fut marquée par un enthousiasme militant, mais aussi par les premières tensions idéologiques et personnelles qui allaient, plus tard, conduire à de profonds clivages.
La confrontation avec le pouvoir : le face-à-face avec Ben Ali
L’un des moments les plus saisissants du récit de Kilani est son face-à-face avec le président Zine el-Abidine Ben Ali. Loin d’être une simple anecdote, cette rencontre symbolise le rapport de force asymétrique entre un pouvoir autoritaire et une opposition déterminée. Kilani détaille les circonstances de cette entrevue, les arguments échangés et les implications de ce dialogue de sourds. Il expose sans fard les détails de son conflit avec le régime, illustrant la constante pression exercée sur les dissidents politiques et les stratégies de survie des mouvements interdits.
La guerre intestine : Kilani contre Hammami
La fracture la plus déterminante au sein du parti (PCOT) fut sans conteste le conflit l’opposant à Hammam Hammami, l’autre figure emblématique de la gauche. Mohamed Kilani lève le voile sur les racines de cette rivalité, qui dépassaient les simples divergences tactiques. Il s’agissait, selon lui, d’une opposition fondamentale sur la vision du parti, son organisation et ses alliances. Cet épisode révèle la dynamique des luttes internes qui ont fragilisé le mouvement et entravé son unité face au pouvoir.
Le positionnement face aux islamistes
Le témoignage de Kilani apporte également une vision différente de l’intérieur de la gauche sur la question islamiste. Alors que la position officielle du parti était souvent perçue comme uniforme, Kilani expose les nuances et les débats qui l’animaient. Son analyse personnelle de la montée de l’islamisme politique et de la réponse que devait y apporter la gauche offre une perspective précieuse pour comprendre la complexité du champ politique tunisien.
Le procès de la gauche : qui porte la responsabilité de l’échec ?
La question de la responsabilité dans l’échec de la gauche tunisienne est au cœur de cet entretien. Mohamed Kilani assigne des responsabilités claires et nomme les acteurs qu’il estime être les principaux fautifs.
Les procès politiques et le lien avec Kaïs Saïed
L’expérience des procès politiques sous Ben Ali est un autre chapitre sombre évoqué par Kilani. Il décrit le harcèlement judiciaire, les conditions de détention et l’impact de ces répressions sur le moral des militants. Enfin, il aborde la relation avec l’actuel président, Kaïs Saïed.
Le témoignage de Mohamed Kilani est bien plus qu’un simple retour sur le passé. C’est un document historique essentiel pour décrypter les complexités de la scène politique tunisienne, de l’époque de Ben Ali à aujourd’hui. En offrant sa perspective, parfois amère mais toujours lucide, sur les dissensions internes, la confrontation avec le pouvoir et les errements stratégiques, il fournit des clés indispensables pour comprendre les racines des défis actuels de la Tunisie. Pour tout observateur de la politique tunisienne et arabe, cette plongée dans la mémoire d’un militant historique est une lecture aussi instructive que nécessaire.