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Tunisie : La démocratie en péril, un entretien avec l’avocat et militant politique Ayachi Hammami
Dans le climat politique tunisien de plus en plus tendu, les propos de l’avocat et activiste politique Ayachi Hammami mettent en évidence de manière frappante les divisions qui parcourent le pays. Lors d’une interview exclusive, Hammami, figure centrale de la gauche tunisienne, a exprimé sans détour sa critique envers ce qu’il perçoit comme une tendance autoritaire du régime de Kais Saied.
Des sanctions politiques sous un système judiciaire contrôlé
« Je suis prêt à aller en prison et je ne quitterai pas le pays », affirme-t-il avec détermination. Pour Hammami, les condamnations dans le cadre de l’affaire dite de « conspiration » ne sont que des sentences politiques, orchestrées par le président de la République et la ministre de la Justice, et relayées par un juge « qui manque d’indépendance ». « Le juge n’est qu’un fonctionnaire assujetti, soit aux puissants, soit au pouvoir exécutif. Cela constitue une violation flagrante de la Constitution », insiste-t-il.
Cette vive critique du système judiciaire est le reflet d’une inquiétude grandissante parmi les défenseurs des droits humains en Tunisie. Depuis que le Parlement a été suspendu en 2021 et que les pouvoirs se sont concentrés entre les mains de Kaïs Saïed, plusieurs opposants ont été incarcérés, souvent sous des accusations vagues de « complot ».
Une révolution trompée, une démocratie incomplète
« Le peuple n’a jamais bénéficié des répercussions de la révolution », déplore Hammami. Selon lui, les tensions internes entre islamistes et progressistes de gauche ont fragilisé le processus démocratique, permettant à l’ancien régime de prendre une nouvelle forme. « Nous n’avons pas réussi à instaurer une démocratie solide. Il faut recommencer, mais cette fois avec plus de clairvoyance. »
L’absence de mise en place d’une Cour constitutionnelle est, selon lui, révélatrice de cet échec. « Les politiciens ont favorisé leurs intérêts partisans au détriment du bien commun. Aujourd’hui, Kaïs Saïed refuse de créer cette Cour, ce qui est extrêmement périlleux. En cas de vide politique, qui assurera la transition ? Logiquement, c’est le président de la Cour constitutionnelle qui en aurait la responsabilité. Sans cette institution, le pays risque de sombrer dans l’incertitude. »
Kaïs Saïed et l’appropriation de l’État
Hammami ne dissimule pas son ressentiment envers le président Saïed, qu’il accuse d’avoir « dépecé l’État ». « L’État était une proie, et Kaïs Saïed l’a capturé », critique-t-il. Selon le militant, les partisans du président, souvent qualifiés de « populistes », ont perdu toute crédibilité. « Leur fermeté démontre qu’ils sont à court d’arguments. Ils gouvernent par la peur et la répression, plutôt que par la persuasion. »
Quel avenir pour la Tunisie ?
Malgré ce tableau pessimiste, Hammami encourage une nouvelle mobilisation. « Nous devons repenser notre stratégie. La démocratie ne peut se bâtir sans indépendance judiciaire, sans contre-pouvoirs, et surtout, sans unité entre les forces progressistes. »
Alors que la Tunisie s’enfonce dans une crise multidimensionnelle – économique, politique et sociale –, les paroles d’Ayachi Hammami résonnent comme une mise en garde. Sans une réaction collective, le rêve démocratique né en 2011 risque de s’éteindre définitivement.