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Tunisie : Le report de la conférence de presse ravive les souvenirs de la répression depuis 2005

S’inspirant des heures les plus sombres de la restriction des activités syndicales judiciaires, l’Association des Magistrats Tunisiens a déclaré aujourd’hui que sa conférence de presse, qui devait se tenir demain au Golden Tulip El Mechtel à Tunis, a été annulée. « Injustement refusé» par les autorités.
L ‘avis de l’exécutif à la direction de l’hôtel d’annuler l’événement malgré la finalisation des arrangements contractuels n’était en aucune façon la première salve du pouvoir judiciaire. En réalité, cela s’inscrit dans une lutte de longue date entre l’exécutif et le pouvoir judiciaire. Cet affrontement a plus de 20 ans et a commencé bien avant l’élection de 2005, lorsque la Tunisie vivait encore sous le régime de Ben Ali. Le pouvoir judiciaire a été de plus en plus marginalisé de 2005 à 2025.
En 2005, la Tunisie a connu un premier affrontement majeur entre l’ancien régime et l’AMT, lorsque cette dernière a tenté de défendre l’indépendance de la justice face aux ingérences de l’exécutif dans les nominations et les promotions. À l’époque, le régime avait opté pour la dissolution du bureau légitime de l’association et son remplacement par une instance loyaliste, une décision sans précédent qui avait provoqué des protestations judiciaires et internationales.
Après la révolution de 2011, l’AMT a retrouvé son indépendance et est devenue une voix majeure dans la défense de la réforme judiciaire, notamment lors de la rédaction de la Constitution de 2014 qui garantissait – en théorie – la séparation des pouvoirs. Mais le tournant décisif est survenu en 2022, lorsque le président Kaïs Saïed a décidé de révoquer arbitrairement 57 magistrats, y compris des membres du Conseil supérieur de la magistrature, sous prétexte de lutter contre la « corruption » et les « affiliations aux Frères musulmans ». Une mesure qualifiée de « massacre judiciaire » ayant anéanti les derniers vestiges d’indépendance de l’institution.
Le communiqué : Un message de résistance et de dénonciation
Le communiqué de l’AMT ne se limite pas à annoncer un report. Il porte des messages politiques et judiciaires audacieux :
Le rejet de la répression : La décision est décrite comme un « nouvel épisode de restriction », faisant allusion à une politique systématique visant à limiter la liberté de réunion et d’expression des magistrats.
La mémoire de la répression : L’évocation des « climats autoritaires » ravive les comparaisons avec l’ère Ben Ali, où les salles de conférence étaient souvent fermées aux activistes et aux juges.
Les conséquences annoncées : Un avertissement clair sur les effets de la « perte d’indépendance du pouvoir judiciaire » sur la justice et les droits des citoyens.
Analyse du contexte : Pourquoi maintenant ?
Ce report intervient à un moment particulièrement sensible :
Contexte national : Le gouvernement de Ahmed Hachani examine des projets de réformes judiciaires qui renforceraient le contrôle de la présidence sur les nominations, menaçant tout rôle de supervision du pouvoir judiciaire.
Contexte international : Les rapports d’organisations comme Human Rights Watch mettent en garde contre un « effondrement de l’indépendance judiciaire » en Tunisie, ce qui place le régime sous pression.
Une stratégie récurrente : Fermer les espaces publics aux opposants est une tactique utilisée depuis 2005, mais elle est aujourd’hui justifiée par des slogans comme la « lutte contre la corruption » ou la « protection de la sécurité nationale ».
Conclusion : L’histoire se répète-t-elle ?
Ce report n’est pas un incident isolé, mais un test de la résistance des magistrats – et de la société civile – face à une politique de marginalisation. L’histoire montre que le régime tunisien, qu’il s’agisse de l’ère Ben Ali ou de la période actuelle, recycle les mêmes méthodes répressives sous de nouveaux prétextes. La différence aujourd’hui est que l’AMT, malgré tous les défis, continue de s’exprimer haut et fort, renouant avec l’esprit de résistance de 2005. La question la plus difficile reste : Les mots suffiront-ils à enrayer le déclin ?

communiqué de presse en Arabe: L’Association des Magistrats Tunisiens (AMT) a annoncé aujourd’hui le report de sa conférence de presse selon le communiqué de presse.

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