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Tunisie : l’avocat Ayachi Hammami arrêté
Tunis- Le visage fermé et la voix volontairement calme, l’avocat Ayachi Hammami s’adresse à la caméra dans une vidéo publiée sur sa page Facebook dans la nuit du 2 au 3 décembre. « Si cette vidéo est publiée, cela signifie que j’ai été arrêté », déclare-t-il d’emblée, anticipant un coup de filet des forces de sécurité. Il annonce que la Cour d’appel de Tunis l’a condamné, ainsi que des vingtaine d’autres figures de l’opposition, dans l’affaire dite du « complot », une procédure qu’il qualifie de « purement politique » contre les opposants du président Kaïs Saïed.
Selon une information obtenue de source sûre auprès de la Commission internationale des juristes (CIJ), il a été arrêté à son domicile le mardi 2 décembre 2025 et placé en détention pour commencer à purger sa peine de 5 ans de prison ferme.
La publication de Ayachi Hammami intervient alors que le pouvoir tunisien a engagé, depuis la confirmation des verdicts le 28 novembre, une série d’arrestations parmi les condamnés en liberté. Chaima Issa, militante et écrivaine, a été arrêtée le samedi 30 novembre lors d’une manifestation à Tunis. L’avocate , qui représentait Issa, a dénoncé les conditions de son interpellation : « Nous marchions dans la manifestation lorsqu’un groupe d’officiers en civil l’a saisie et poussée à l’intérieur d’un véhicule ». Les autorités tunisiennes agissent ainsi pour exécuter les jugements rendus en appel, qui ont confirmé des peines allant jusqu’à 45 ans de prison pour une quarantaine de personnalités, principalement des critiques du président Saïed.
Le détail des peines confirmées en appel
Dans la nuit du 27 au 28 novembre 2025, la Chambre criminelle spécialisée dans les affaires terroristes près la Cour d’appel de Tunis a rendu son verdict définitif. Les peines de prison varient de 5 à 45 ans:
Peines les plus lourdes pour les accusés détenus : L’homme d’affaires Kamel Eltaïef a écopé de 30 ans de prison (contre 66 ans en première instance). Des figures de l’opposition détenues depuis février 2023, comme Issam Chebbi, Ghazi Chaouachi, Ridha Belhaj et Jaouhar Ben Mbarek, ont vu leurs peines portées à 20 ans de réclusion.
Condamnations pour les accusés en liberté : Parmi eux figurent Ahmed Nejib Chebbi, chef du Front de salut national, condamné à 12 ans de prison, la militante Chaima Issa à 20 ans, et l’avocat Ayachi Hammami à 5 ans de prison ferme.
Accusés en fuite : Pour ceux jugés par contumace, la cour a confirmé des peines de 33 ans, les aggravant même à 43 ans pour certains, comme l’intellectuel français Bernard-Henri Lévy ou Najla Eltaïef.
Ces condamnations s’ajoutent à des amendes pouvant atteindre 100 000 dinars, la confiscation des fonds bancaires et des périodes de surveillance administrative de 2 à 5 ans.
Une affaire qualifiée de « simulacre de justice » par les ONG
Dès son ouverture, ce « méga-procès » a suscité les vives critiques des organisations de défense des droits de l’homme et des instances internationales. Dans un entretien à France 24 en mars 2025, Ahmed Nejib Chebbi, alors inculpé, dénonçait déjà une procédure visant à « terroriser les Tunisiens pour les dissuader d’exercer leurs droits politiques ».
Dénonciation des violations des procès équitables : Sara Hashash, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International, a qualifié le verdict d’appel d’« accablant réquisitoire contre le système judiciaire tunisien ». L’ONG et d’autres ont pointé du doigt de graves violations des droits de la défense, notamment le refus de laisser les accusés détenus comparaître physiquement au tribunal, les audiences se tenant par visioconférence.
Une instrumentalisation de la justice : Human Rights Watch a pour sa part dénoncé un « travesti de justice », « politique, inique et dépourvu de la moindre preuve » contre les accusés, et déplore une « instrumentalisation honteuse du pouvoir judiciaire pour éliminer les opposants de M. Saïed ».
Le sort alarmant d’un gréviste de la faim : Parmi les détenus, l’état de santé de Jaouhar Ben Mbarek, en grève de la faim depuis plus d’un mois pour protester contre sa détention « arbitraire », est jugé « très inquiétant ». Sa sœur, l’avocate Dalila Ben Mbarek Msaddek, a indiqué qu’il avait été hospitalisé à plusieurs reprises et subi des violences en détention pour le forcer à s’alimenter.
Contexte politique : la Tunisie dans la tourmente
Cette vague de répressions judiciaires s’inscrit dans un contexte de durcissement politique marqué depuis l’été 2021. À cette date, le président Kaïs Saïed avait suspendu le Parlement, renvoyé le gouvernement et commencé à gouverner par décret, des mesures qu’il a justifiées par la nécessité de « mettre fin au chaos et à la corruption ».
Une opposition muselée : Depuis, des dizaines d’opposants politiques, de journalistes, d’avocats et de militants ont été arrêtés, poursuivis pour « complot » ou en vertu d’un décret de 2022 criminalisant la diffusion de « fausses nouvelles ».
Mobilisation de la société civile : Malgré la répression, la contestation persiste. Le 23 novembre, des milliers de Tunisiens ont défilé à Tunis lors d’une « marche contre l’injustice », scandant des slogans comme « le peuple veut la chute du régime ». C’est lors d’une manifestation similaire deux jours après le verdict que Chaima Issa a été interpellée.
Condamnation internationale : Jeudi 28 novembre, le Parlement européen a voté une résolution exigeant « la libération de toutes les personnes détenues pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression » en Tunisie. Le président Saïed a vivement condamné ce texte, y voyant une « ingérence flagrante ».
Dans sa vidéo, Ayachi Hammami conclut par un appel à l’unité des Tunisiens « contre le despotisme de Saïed ». Son message, pré-enregistré en anticipation d’une arrestation imminente, symbolise le climat de peur et de résistance qui règne aujourd’hui dans les rangs de l’opposition tunisienne, tandis que les portes des prisons se referment sur ses figures les plus emblématiques.
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