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Politique

La France face à l’offensive insidieuse des Frères musulmans : un réveil stratégique tardif mais nécessaire

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Longtemps, la République française s’est montrée permissive, voire aveugle, face à la progression discrète mais déterminée de l’idéologie des Frères musulmans sur son sol. Ce mouvement, fondé en Égypte en 1928, a développé une expertise dans l’art de l’infiltration : sous couvert d’activités sociales, éducatives, sportives ou caritatives, il a patiemment tissé un maillage dense au cœur de nombreuses institutions françaises. Aujourd’hui, ce que certains appelaient naïvement « l’islam des Lumières » révèle un tout autre visage. C’est le masque d’une stratégie d’entrisme bien huilée que la France décide enfin de lever, avec pour ambition de neutraliser une influence perçue désormais comme une menace directe à la cohésion nationale.

Nizar Jlidi Journaliste et analyste politique

Une prise de conscience aussi tardive que brutale

Cela fait des années que des voix, certes minoritaires, alertaient sur la présence insidieuse des Frères musulmans dans les structures associatives de la République. Mais elles prêchaient dans le désert. C’est aujourd’hui l’État lui-même qui reconnaît le caractère subversif du mouvement. Emmanuel Macron, à l’issue d’un Conseil de défense tenu le 21 mai dernier, a sonné la fin de la complaisance. Dans une déclaration sans ambiguïté, l’Élysée a identifié la confrérie comme un danger structurel pour l’unité du pays, appelant à une série de mesures pour contrer « une organisation secrète, clandestine et subversive » qui utilise les libertés démocratiques pour affaiblir l’État de droit.

Il aura fallu du temps, trop de temps. Mais ce réveil stratégique ouvre un nouveau chapitre dans la lutte contre ce que l’on pourrait qualifier d’islamisme politique à visage feutré – un islamisme qui ne brandit pas les armes, mais infiltre, influence, modèle les esprits.

L’arabe, outil de conquête idéologique ou instrument d’émancipation ?

L’un des nœuds de cette bataille idéologique se situe là où peu s’attendaient à le trouver : dans la langue arabe elle-même. Dans un article récent, Le Figaro rappelle que ce savoir linguistique, largement monopolisé par des associations confessionnelles, a souvent servi de véhicule à l’idéologie des Frères. L’arabe, enseigné en dehors du cadre scolaire officiel, devient dans certains cas l’instrument d’un endoctrinement subtil.

Or paradoxalement, c’est l’absence de politique linguistique ambitieuse de l’État français qui a laissé ce vide exploitable. À peine 3 % des collèges et lycées publics proposent un enseignement structuré de l’arabe, alors même qu’il s’agit de la deuxième langue la plus parlée dans l’Hexagone. En refusant de s’approprier cette langue, en la laissant aux mains de structures communautaristes, l’État a facilité la diffusion d’une contre-culture islamiste dans les quartiers populaires.

C’est une erreur stratégique. Comme le suggère l’Institut Montaigne dès 2018, intégrer l’arabe dans l’Éducation nationale ne signifie pas céder aux sirènes de l’islam politique. Cela signifie, au contraire, le couper de ses vecteurs de radicalisation en le restituant à une sphère laïque, républicaine, universaliste.

Des clubs de sport aux mosquées de quartier : une stratégie d’infiltration progressive

La force des Frères musulmans réside dans leur capacité à se rendre invisibles. Ils n’apparaissent pas sous leur nom. Ils se glissent dans les structures associatives, les clubs de sport, les centres culturels, les établissements privés hors contrat. L’exemple récent d’un club de football à Paris, où un entraîneur a remplacé le discours sportif par une prêche religieuse évoquant la « souveraineté divine » (al-hâkimiyya), est révélateur. Derrière un discours pieux se cache un projet politique : remplacer les lois de la République par celles de Dieu.

Ce n’est pas un accident isolé. L’enquête qui a suivi la plainte d’un parent a mis au jour l’existence d’un réseau structuré, ancré dans plusieurs clubs sportifs. Le but ? Utiliser ces espaces d’apparence neutre pour diffuser des valeurs radicales, dans une logique de conquête idéologique progressive.

Les services de renseignement, relayés par des médias comme Public Sénat, confirment aujourd’hui ce que certains dénoncent depuis longtemps : il ne s’agit pas d’un phénomène marginal, mais d’une stratégie d’entrisme systématique. Le but n’est pas de dialoguer avec la République, mais de la subvertir de l’intérieur.

Une menace douce, mais implacable

Ce que redoute désormais l’État, ce n’est plus l’islam radical armé, mais son versant le plus pernicieux : celui qui se glisse dans les failles de la démocratie pour mieux la neutraliser. Car les Frères musulmans ne revendiquent pas la violence frontale – du moins officiellement. Leur stratégie est celle de la patience, de l’influence, de la conquête par capillarité.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, puis son successeur Bruno Retailleau, ont tous deux dénoncé cette menace « indirecte », mais « déstabilisatrice », qui consiste à saper les valeurs républicaines, à fragiliser le pacte social, à cultiver l’entre-soi communautaire au détriment de l’universalisme.

Désormais, la réponse de l’État se veut globale : gel des financements étrangers, traçabilité des flux financiers associatifs, interdiction d’organismes soupçonnés de propagande, et surtout, tarissement des relais politiques et médiatiques qui offrent une tribune à ce courant.

L’idéologie mère de tous les radicalismes

Il ne faut pas se méprendre : le danger ne vient pas seulement de la sphère locale. Il est aussi – et surtout – idéologique. Depuis Sayyid Qutb, le penseur radical égyptien exécuté en 1966, la doctrine des Frères musulmans a connu une mutation. Dans Jalons sur la route, Qutb considère les sociétés musulmanes modernes comme plongées dans une nouvelle ère d’ignorance (jahiliyya), car elles n’appliquent pas la charia selon ses standards. Il appelle à la création d’une avant-garde islamique purifiée, détachée du reste de la société, et prête à renverser les régimes jugés impies.

Ce corpus idéologique, bien que parfois désavoué par les cadres modérés de la confrérie, a alimenté toutes les branches les plus violentes de l’islamisme contemporain. D’Al-Qaïda à Daech, en passant par la Jama’a Islamiya ou le Jihad islamique égyptien, la matrice est la même. Le verbe de Qutb a nourri les bombes des djihadistes.

La République saura-t-elle résister ?

La question qui se pose aujourd’hui est celle de la résilience démocratique. Les valeurs de la République – liberté, égalité, fraternité, laïcité sont-elles suffisamment armées pour faire face à une idéologie aussi pernicieuse ? L’État semble vouloir enfin jouer la partie. Mais la bataille ne se gagnera pas seulement par la répression ou le contrôle. Elle se gagnera aussi et surtout sur le terrain des idées, de l’éducation, de la culture.

En tant qu’analyste politique, je ne peux que souligner l’urgence de cette guerre douce. Car si nous la perdons, ce ne sera pas sous les coups de boutoir d’un terrorisme aveugle, mais par l’érosion lente de ce qui fait l’âme de la République : son universalité, sa capacité à parler à tous, au-delà des clivages culturels et religieux.

La France ne peut plus se permettre l’angélisme. Elle doit désormais regarder le danger dans les yeux – et y répondre avec lucidité, fermeté, mais aussi intelligence stratégique. C’est à ce prix qu’elle préservera ce qui reste de son modèle d’intégration.

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